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Curaçao, le plus petit pays qualifié de l’histoire, rêve d’un exploit à l’allemande

Curaçao, le plus petit pays qualifié de l'histoire, rêve d'un exploit à l'allemande

Avec ses 156 000 habitants et ses 171 kilomètres carrés, Curaçao devient la plus petite nation jamais qualifiée pour une Coupe du monde. Mais cette île caribéenne ne vient pas en touriste : son sélectionneur Dick Advocaat, 78 ans, promet de faire trembler l’Allemagne, l’Équateur et la Côte d’Ivoire dans le groupe E. Entre héritage néerlandais, talents formés en Europe et organisation défensive implacable, Curaçao pourrait bien être le Petit Poucet qui va faire chavirer le Mondial.

Vendredi dernier, lors du tirage au sort de la Coupe du monde à Washington, Wayne Gretzky a commis une bourde monumentale. Face à plus d’un milliard de téléspectateurs selon les estimations de la FIFA, la légende du hockey sur glace a complètement massacré le nom du pays qu’il tirait au sort. « Ka-rak-ko », a-t-il bafouillé. Raté. Le nom se prononce « koor-uh-SOW ». Mais qu’importe : Curaçao venait d’entrer dans l’histoire comme le plus petit pays jamais qualifié pour une phase finale de Coupe du monde.

Et cette petite île des Caraïbes n’a pas l’intention de jouer les faire-valoir.

Une qualification éclatante qui fait taire les sceptiques

Curaçao a décroché son billet pour le Mondial au terme d’un parcours impressionnant de 18 mois durant lequel l’équipe est restée invaincue. Mieux encore : elle a écrasé ses adversaires avec une moyenne de 2,5 buts d’écart par match. Certes, le calendrier traditionnel de Curaçao regorge d’équipes moins redoutables comme Aruba, Sainte-Lucie ou la Grenade. Mais les insulaires ont aussi atomisé Haïti 5-1 lors des qualifications, et tenu en échec le Canada ces sept derniers mois.

Lors de la Gold Cup de l’été dernier, Curaçao n’a perdu qu’une seule fois. Une constance qui prouve que cette équipe n’est pas là par hasard. Elle a mérité sa place, arraché son rêve, et compte bien le faire savoir au monde entier.

Le point d’orgue ? Un nul 0-0 contre la Jamaïque le 18 novembre qui a validé la qualification historique. Les joueurs et les supporters ont explosé de joie. Pour une nation de 156 000 habitants, qualifier une équipe nationale pour le Mondial relève de l’exploit inimaginable. C’est comme si une petite ville française envoyait une équipe défier les géants du football mondial.

Dick Advocaat, 78 ans et toujours affamé

À la tête de cette aventure incroyable se trouve Dick Advocaat, qui deviendra à 78 ans le plus vieux sélectionneur de l’histoire de la Coupe du monde. Cet ancien joueur néerlandais possède une carrière d’entraîneur de 44 ans jalonnée de succès : trois passages à la tête de l’équipe nationale néerlandaise, une participation au Mondial avec la Corée du Sud, et des postes dans les plus grands clubs européens.

Quand on lui demande s’il vient aux États-Unis en vacances, sa réponse claque comme un coup de fouet : « Non, certainement pas. Sinon, je peux aller en Espagne. »

Advocaat sait de quoi il parle. « Nous sommes difficiles à battre », affirme-t-il sans détour. « C’est une équipe travailleuse avec une bonne organisation. Si vous avez une bonne organisation, vous pouvez toujours faire quelque chose contre de meilleures équipes. »

Et il a raison de croire en ses joueurs. Car Curaçao n’est pas une bande d’amateurs qui se retrouvent le week-end sur un terrain poussiéreux. C’est une équipe structurée, tactiquement rodée, composée de professionnels aguerris.

L’héritage néerlandais, arme secrète de Curaçao

Pour comprendre la force de Curaçao, il faut remonter dans l’histoire. Bien qu’originellement colonisée par l’Espagne, qui la considérait comme une extension insulaire du Venezuela, Curaçao a été une colonie néerlandaise pendant près de quatre siècles. En raison de sa position unique entre l’Amérique du Sud et l’Amérique du Nord, la plupart des habitants parlent quatre langues : anglais, espagnol, néerlandais et papiamento, un créole mélangeant portugais, espagnol, néerlandais et arawak.

Grâce à ce patronage historique néerlandais, les Curacaoans figurent parmi les populations les plus éduquées des Caraïbes, avec un taux d’alphabétisation de 97 %. En 2010, les Néerlandais ont dissous le territoire des Antilles néerlandaises composé de six îles, faisant de Curaçao une nation constituante au sein du Royaume des Pays-Bas. Un an plus tard, en 2011, Curaçao disputait son premier match international.

Cette proximité avec les Pays-Bas explique pourquoi dix joueurs de l’effectif qui a validé la qualification en novembre évoluent professionnellement aux Pays-Bas. Les autres jouent dans des clubs de premier plan en Turquie, en Écosse, en Angleterre, en Belgique et en Allemagne. Des championnats de haut niveau qui forgent l’expérience et la technicité.

Et justement, l’approche tactique de Curaçao ressemble étrangement à celle des Pays-Bas : fluidité, adaptabilité, compétences techniques. Des traits qu’on n’associe généralement pas aux équipes de la CONCACAF, souvent plus portées sur le physique et l’engagement. Gilbert Martina, président de la fédération de football de Curaçao et ancien PDG d’hôpital, croit fermement que cette philosophie de jeu, combinée aux pelouses lisses et impeccables d’une Coupe du monde, permettra à son équipe de passer un cap.

Le groupe E : difficile mais pas insurmontable

Curaçao affrontera dans le groupe E trois adversaires redoutables sur le papier : l’Allemagne, quadruple championne du monde, l’Équateur, dauphin de l’Argentine lors des qualifications sud-américaines, et la Côte d’Ivoire, championne d’Afrique en titre.

Mais Julian Nagelsmann, le sélectionneur allemand, ne prend rien à la légère. « Chaque adversaire mérite le respect », a-t-il déclaré après le tirage. « Curaçao sera intéressant à analyser. Mais nous ne ferons pas l’erreur de les sous-estimer. »

Et il a raison d’être prudent. Car si ce groupe semble périlleux pour Curaçao, il n’est pas totalement hors de portée. L’Allemagne a été éliminée au premier tour lors des deux dernières Coupes du monde. Un traumatisme national qui continue de hanter la Mannschaft. La Côte d’Ivoire n’a pas participé au Mondial depuis 12 ans et n’a jamais dépassé la phase de groupes de son histoire. L’Équateur n’a atteint le second tour qu’une seule fois, il y a vingt ans.

Et surtout, le nouveau format du Mondial change la donne. Huit des douze équipes classées troisièmes de leur groupe se qualifieront pour les seizièmes de finale. Concrètement, Curaçao pourrait se qualifier en ne gagnant qu’un seul de ses trois matchs de poule. Un exploit réaliste ? Advocaat le pense.

« En principe, chaque match est difficile, mais c’est excitant de jouer là-bas de cette manière, au plus haut niveau, et nous verrons ce que nous ferons », explique le vieux coach. « Nous avons une équipe avec beaucoup de combattants. Et d’après mon expérience, c’est toujours difficile à battre. Donc chaque adversaire qui jouera contre nous devra très bien jouer. »

L’histoire de Gilbert Martina, l’architecte du rêve

Derrière cette qualification historique se cache un homme : Gilbert Martina. Cet ancien PDG d’hôpital est devenu conseiller de la fédération de football de Curaçao en 2002, neuf ans avant que le pays ne dispute son premier match international. Une vision folle pour l’époque.

« Avoir une idée, avoir une vision, ne signifie pas qu’elle se matérialisera. Cela demande du travail acharné. Cela demande de la persévérance », confie Martina, aujourd’hui président de la fédération.

Il possédait ces qualités en abondance. Mais aussi les compétences diplomatiques nécessaires pour négocier la paix entre des clubs rivaux dont les querelles avaient paralysé la compétition dans la ligue locale de l’île. Sans cette réconciliation, rien n’aurait été possible.

« Vous pouvez voir les résultats », dit fièrement Martina en parlant des joueurs qui ont tenu bon, dont plus d’une douzaine ont commencé leur carrière avant que Curaçao ne devienne indépendante. « C’est vraiment une unité basée sur ce qu’ils veulent accomplir. Pas pour eux-mêmes, mais pour l’entraîneur, pour le staff, pour tout le pays. »

Cette dimension collective transcende les individualités. Comme Martina, la plupart des joueurs sont nés à Curaçao mais ont passé une partie de leur vie à vivre et étudier aux Pays-Bas. Cette relation étroite – les Néerlandais continuant de gérer la défense nationale et la politique étrangère de Curaçao, et s’immisçant parfois dans la politique intérieure depuis l’indépendance – constitue une raison majeure du succès de l’équipe de football.

Une nation de sportifs de haut niveau

Le sport coule dans les veines de Curaçao. Malgré sa minuscule superficie de 171 kilomètres carrés et ses 156 000 habitants, l’île a produit 17 joueurs de baseball de Ligue majeure américaine. Parmi eux, des All-Stars comme Andruw Jones, Kenley Jansen et Jurickson Profar. C’est le ratio par habitant le plus élevé au monde.

Mais le football reste probablement le sport national, toujours en raison des liens historiques avec les Pays-Bas. Aujourd’hui, cette passion se concrétise par une qualification inespérée pour le tournoi le plus prestigieux de la planète.

Le Petit Poucet qui peut tout renverser

Si ce Mondial 2026 doit avoir une équipe Cendrillon, ce sera probablement Curaçao. Une île qui fait 40 kilomètres de long, située à 40 kilomètres au nord du Venezuela, et qui s’apprête à défier les mastodontes du football mondial.

Les joueurs devront apprendre à gérer la pression médiatique, les stades immenses, les foules gigantesques. Mais ils possèdent un atout psychologique majeur : personne ne les attend. Personne ne mise sur eux. Ils n’ont rien à perdre et tout à gagner. Cette liberté mentale peut faire des miracles dans une compétition où la pression écrase souvent les favoris.

Et puis, il y a cette fierté nationale démesurée. Pour les 156 000 habitants de Curaçao, chaque match sera un événement planétaire. L’île entière vibrera à l’unisson. Les rues se videront. Les écrans s’allumeront. Et peu importe le résultat final, ces joueurs seront accueillis en héros à leur retour.

Advocaat le sait. Martina le sait. Les joueurs le savent. Cette Coupe du monde n’est pas seulement une compétition sportive. C’est l’aboutissement d’un rêve collectif vieux de plus de vingt ans. C’est la preuve qu’avec du travail, de la persévérance et une vision claire, même les plus petits peuvent rivaliser avec les géants.

Alors oui, Wayne Gretzky a massacré la prononciation du nom du pays. Mais d’ici la fin du Mondial, le monde entier saura comment dire « Curaçao ». Et peut-être que ce nom sera mieux connu que celui de Gretzky lui-même.

Car dans six mois, quand les joueurs de Curaçao fouleront la pelouse pour affronter l’Allemagne, ils porteront sur leurs épaules les espoirs de toute une nation. Une toute petite nation qui rêve en grand. Une nation qui refuse de se laisser intimider. Une nation qui a déjà prouvé qu’elle méritait sa place parmi l’élite mondiale.

Le football a cette magie : il permet à David de défier Goliath. Et Curaçao, armé de son organisation défensive, de ses talents formés en Europe et de son cœur gros comme l’océan qui l’entoure, compte bien écrire sa propre légende au Mondial 2026.