en , ,

Canada au Mondial : de l’exploit mexicain de 1986 à l’aventure qatarie, l’histoire tourmentée des Canucks

Canada au Mondial : de l'exploit mexicain de 1986 à l'aventure qatarie, l'histoire tourmentée des Canucks

Trente-six ans de disette entre deux participations. Le parcours du Canada en Coupe du monde raconte l’histoire d’un pays où le hockey sur glace règne en maître, mais où le ballon rond tente de se faire une place. De l’épopée improbable du Mexique 1986 jusqu’au retour triomphal au Qatar en 2022, en passant par l’attente du rendez-vous historique de 2026 sur son propre sol, retour sur la saga d’une sélection longtemps considérée comme l’outsider éternel de la CONCACAF.

Quand la fédération canadienne n’existait même pas

L’Association canadienne de football établit ses quartiers à Ottawa en 1912, avant d’obtenir son affiliation à la FIFA l’année suivante. Pourtant, pendant des décennies, le Canada reste invisible sur la scène mondiale. Entre 1930 et 1954, aucune participation aux éliminatoires. Puis arrive 1958, le Mondial de Suède : première tentative, premier échec face aux voisins américains et mexicains.

Les décennies s’enchaînent sans la moindre qualification. 1962, 1966, 1970, 1974, 1978, 1982… À chaque cycle, le rêve s’évapore. Mais quelque chose change avant Mexico 1986. Une génération émergente, façonnée par les performances encourageantes aux Jeux olympiques de Los Angeles en 1984, décide que cette fois sera la bonne.

L’exploit historique de Saint-Jean de Terre-Neuve

Septembre 1985. Dans la ville portuaire de Saint-Jean de Terre-Neuve, sous une ambiance électrique, le Canada affronte le Honduras pour un match décisif. La tension est palpable. Au coup de sifflet final, c’est la délivrance : victoire 2-1. Les Canadiens viennent de réaliser l’impensable en devenant la première nation de la CONCACAF à se qualifier pour Mexico 86, devançant même les États-Unis et le futur pays hôte.

Le parcours éliminatoire avait pourtant tout du chemin de croix. Face au Guatemala et à Haïti en phase de groupes, puis contre le Costa Rica et le Honduras en tour final, l’équipe dirigée par Tony Waiters — ancien gardien de l’équipe d’Angleterre — a dû batailler ferme. Un détail croustillant : plusieurs joueurs canadiens n’évoluaient même pas professionnellement. George Pakos, buteur décisif face au Honduras lors d’une victoire 1-0 en match aller, travaillait comme releveur de compteurs pour la municipalité de Victoria. Comment imaginer qu’un employé municipal puisse marquer le but qualificatif pour une Coupe du monde?

Mexico 86 : l’innocence face aux géants

Direction le Groupe C. Les adversaires? La France, championne d’Europe en titre avec son légendaire « Carré magique » composé de Michel Platini, Alain Giresse, Jean Tigana et Luis Fernández. L’Union soviétique, avec le futur Ballon d’Or Igor Belanov. Et la Hongrie, nation historique du football européen.

Premier match le 1er juin 1986 au Estadio Nou Camp de León face aux Bleus. Tony Waiters refuse la prudence excessive et demande à ses joueurs de presser haut. Le gardien Paul Dolan, seulement âgé de vingt ans, réalise une performance remarquable malgré une défaite 1-0. Anecdote savoureuse : un supporter français lance un coq vivant sur la pelouse durant la rencontre. Le sélectionneur français Henri Michel déclarera après coup : « Je savais que les Canadiens courraient beaucoup, mais j’ai été surpris par leur agressivité. Ils ont joué avec honneur. »

Cinq jours plus tard, nouvelle désillusion contre la Hongrie au Estadio Irapuato : défaite 2-0. Puis vient le dernier match, toujours à Irapuato, face aux Soviétiques. Pendant une heure, le Canada résiste. Belanov et Oleksandr Zavarov entrent en jeu pour faire basculer la rencontre. Deux buts coup sur coup, et c’est terminé. 2-0, élimination confirmée.

Bilan final catastrophique sur le papier : trois défaites, zéro point, aucun but inscrit, cinq encaissés. Pourtant, pour le Canada, cette simple présence représentait déjà une victoire. Au classement final du tournoi, les Canucks terminent derniers, 24e position ex-aequo avec l’Irak, seules sélections sans le moindre point.

Trente-six ans d’absence et de frustrations

Après Mexico, l’espoir renaît. L’ancien défenseur de 1986, Bob Lenarduzzi, prend les rênes de la sélection dans les années 1990. Pour le Mondial 1994 aux États-Unis, le Canada frôle la qualification. Lors du dernier match du tour final à Toronto, une victoire face au Mexique suffirait. Alex Bunbury ouvre le score sur coup franc. Mais les Mexicains renversent la vapeur : 2-1. Cruel. Le Canada doit alors passer par les barrages intercontinentaux, où l’Australie les élimine aux tirs au but.

Les tentatives suivantes échouent lamentablement. Élimination dès le premier tour face au Guatemala pour le Mondial 1990. Puis plus rien pendant des années. Le football canadien végète dans l’ombre du hockey et du basketball, sans infrastructures professionnelles solides.

Qatar 2022 : le retour triomphal porté par Davies

Mars 2022. Au BMO Field de Toronto, le Canada écrase la Jamaïque 4-0 et brise trente-six années de souffrance. Premier de la zone CONCACAF devant le Mexique et les États-Unis, la sélection menée par John Herdman réalise un exploit retentissant. Détail révélateur de l’incroyance générale : ni la fédération ni l’équipementier Nike n’avaient prévu de maillot spécial pour le Qatar, persuadés que la qualification resterait hors d’atteinte.

Alphonso Davies, la superstar née dans un camp de réfugiés au Ghana et devenue championne d’Europe avec le Bayern Munich, incarne ce renouveau. Au Qatar, le Canada termine dans le Groupe F avec la Belgique, la Croatie et le Maroc.

Premier match contre les Belges : Davies rate un penalty précoce, le Canada domine mais perd 1-0. Quatre jours plus tard face aux Croates, Phonzy se rachète en inscrivant le premier but canadien en Coupe du monde après seulement 68 secondes de jeu, but le plus rapide du tournoi. Mais les Balkans, futurs demi-finalistes, réagissent violemment et infligent une correction 4-1.

Dernier match contre le Maroc, autre futur demi-finaliste : nouvelle défaite 2-1. Zéro point, trois défaites, mais une fierté retrouvée. Au classement historique des Coupes du monde, le Canada occupe désormais la 77e place sur 80 nations, partageant avec le Salvador le triste record du plus grand nombre de matchs disputés sans le moindre point : six rencontres, six échecs.

2026 : enfin à domicile

La prochaine édition changera tout. Pour la première fois, le Canada co-organisera le Mondial avec les États-Unis et le Mexique. Qualification automatique assurée. Toronto et Vancouver accueilleront les matches, dont le tout premier match de l’histoire disputé sur le sol canadien, prévu le 12 juin 2026 au BMO Field.

Le tournoi, élargi à 48 équipes, offrira une nouvelle chance de briller devant son public. Toronto organisera six rencontres, dont le match d’ouverture des Canucks. Vancouver en accueillera sept, y compris des phases à élimination directe. Après des décennies passées dans l’anonymat, après l’humiliation mexicaine et la renaissance qatarie, le Canada s’apprête à vivre son moment le plus important : celui où toute une nation découvrira enfin que le football peut aussi faire vibrer les cœurs, pas seulement le hockey.

Cette fois, personne ne pourra dire que les Canadiens ne sont pas capables de jouer au football. Davies et ses coéquipiers porteront sur leurs épaules l’histoire de tous ces pionniers de 1986, de ces employés municipaux devenus héros d’un soir, de ces joueurs qui affrontèrent Platini sans trembler. L’heure de la revanche a sonné.