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Le groupe de la mort a-t-il vraiment disparu ?

Le groupe de la mort a-t-il vraiment disparu ?

L’élargissement du Mondial à 48 équipes bouleverse les codes du football international. Cette formule inédite avec des groupes de quatre où trois équipes se qualifient change radicalement la donne. Le fameux « groupe de la mort », cette expression née dans les années 1980, pourrait bien devenir un concept du passé.

Une expression forgée au Mexique en 1986

L’histoire du « groupe de la mort » remonte à la Coupe du monde mexicaine. Un journaliste du Times de Londres, Alan Franks, emploie pour la première fois l’expression « el grupo de la muerte » dans un article de voyage publié le 12 mai 1986. Il évoquait alors la poule de l’Écosse, dont l’issue serait « cruciale pour le tournoi ».

Depuis, cette formule est devenue un rituel médiatique à chaque tirage au sort. En 1990, l’Angleterre se retrouve dans le groupe redouté aux côtés de l’Irlande, des Pays-Bas et de l’Égypte. En 1994, les sélectionneurs italien et brésilien affirment tous deux avoir hérité du groupe le plus relevé. Leurs équipes atteignent pourtant la finale.

Le phénomène atteint son apogée en 2014. Les recherches Google sur « group of death » explosent pendant le tournoi brésilien. Le groupe B de cette édition, avec l’Espagne, les Pays-Bas et le Chili, reste l’un des plus compétitifs de l’histoire. L’Espagne, championne du monde en titre, rentre au pays dès le premier tour.

Les groupes les plus difficiles appartiennent au passé

Pour mesurer objectivement la difficulté d’un groupe, le classement Elo des équipes nationales offre un indicateur fiable. Ce système attribue des points selon les résultats, la qualité des adversaires et l’importance des matchs. Un constat surprenant émerge de cette analyse : neuf des dix groupes les plus relevés de l’histoire datent d’avant 1980.

Le groupe 3 de la Coupe du monde 1962 au Chili détient le record absolu. Le Brésil (premier mondial), la Tchécoslovaquie (cinquième), l’Espagne (sixième) et le Mexique (quinzième) s’y affrontaient. Les deux premiers se sont d’ailleurs retrouvés en finale, remportée par la Seleção 3-1.

L’explication tient au format de l’époque. Avec seulement 16 équipes participantes, la concentration de talents dans chaque poule était mathématiquement plus élevée. L’élargissement à 24 nations en 1982 a mécaniquement dilué la compétitivité des groupes. Le passage à 32 équipes en 1998 n’a pas inversé cette tendance, même si la mondialisation du football a légèrement rehaussé le niveau global.

Le format 2026 enterre définitivement le concept

Avec 48 sélections et des poules de quatre dont trois se qualifient, la Coupe du monde 2026 pousse la logique à son terme. Le groupe I, théoriquement le plus relevé du tournoi, réunit la France (troisième au classement Elo), la Norvège (onzième) et le Sénégal (vingt-quatrième). Si la Bolivie remporte son barrage intercontinental, ce groupe n’arriverait qu’au 32e rang historique en termes de difficulté.

Autrement dit, le « groupe de la mort » de 2026 serait le troisième plus faible jamais enregistré pour une poule censée être la plus difficile d’un tournoi. Seuls les groupes de 1930 et 1954 affichaient des moyennes Elo inférieures.

La qualification de trois équipes sur quatre change aussi la perception du danger. Comment parler de groupe mortel quand la France, la Norvège et le Sénégal peuvent toutes accéder aux huitièmes de finale ? Le risque d’élimination précoce pour une grande nation devient presque théorique.

Le nouveau défi : les groupes de l’incertitude

L’analyse révèle un phénomène inattendu. Quatre des quinze groupes les plus faibles de l’histoire de la Coupe du monde se trouvent dans l’édition 2026. Le groupe G avec la Belgique, l’Iran, l’Égypte et la Nouvelle-Zélande figure parmi les moins relevés depuis 1950.

Le groupe D des États-Unis illustre une autre réalité. L’écart Elo entre la Turquie (tête de série potentielle via les barrages) et les Américains ne dépasse pas 133 points. Cette homogénéité crée une incertitude totale sur l’issue des matchs.

N’est-ce pas finalement plus stressant de jouer contre des adversaires de niveau comparable que d’affronter un favori et un petit poucet ? Dans l’ancien format, battre l’équipe la plus faible garantissait presque la qualification. Désormais, chaque match devient une finale.

Les co-organisateurs américains, canadiens et mexicains échappent au groupe de la mort. Celui-ci n’existe tout simplement plus. À la place, ils devront naviguer dans ce que certains analystes appellent déjà le « groupe de la destruction mutuelle assurée » : des poules où tout le monde peut battre tout le monde, et où un seul faux pas renvoie à la maison.

Le football mondial entre dans une nouvelle ère. Les certitudes du passé s’effacent avec ce format révolutionnaire. Le groupe de la mort a vécu. Place aux groupes de l’imprévisible.